15 abandons

Pendant que Eude, tradeur, démissionnait de son poste au bout de 5 ans, pour faire la thèse en anthropologie dont il avait toujours rêvé,

Catherine, doctorante, s’est vue signifier au bout de 4 ans par un pontife que son sujet était déjà pris, par lui. Elle est devenue consultante.

Laurent, doctorant, n’a jamais vraiment abandonné officiellement. Lui et sa thèse sont en pause. Sa thèse reste ouverte, un possible jamais accompli qui se finira peut-être un jour, une relation dormante qui attend ses circonstances. Il est acteur et prof de théâtre.

Mehdi était en train d’écrire après 2 ans de terrain quand son ordinateur à brûlé. Non seulement lui, mais aussi son disque dur de rechange, 3 mètres plus loin dans la même pièce, et pour finir l’intégralité de ses papiers situés au même endroit. Bérénice, qui s’est pris les pieds dans le câble d’alimentation de son disque dur et l’a vu traverser la pièce au ralenti avant de s’écraser sur le mur en béton, est à peu près la seule personne avec qui il reparle parfois de la thèse. L’un et l’autre sont profs dans le secondaire.

Murielle, peut devenir violente si vous lui dites « quand même c’est dommage que tu l’aies pas terminée », et répond souvent d’un cinglant, « c’est vrai que c’est dommage d’avoir besoin de se nourrir et de se loger ». Elle travaille pour une association dans le social.

Cynthia a passé 3 ans à chercher des financements, au point de ne plus savoir écrire que des projets. Prise dans des possibilités de financement qui allaient de l’ANR au Labex en passant par l’Idex puis l’ANES, puis un GIS, puis un ERC. Au final elle s’est reconvertie dans le montage de financement de projets au niveau européen, à force d’avoir acquis une expertise, et travaille finalement pour une université.

Alexandre a abandonné sa thèse dès le début sans trop s’en rendre compte, en se laissant happer par l’ailleurs lointain de son terrain. Il a mangé sa bourse. Il est maintenant directeur d’un hôtel et fait dans l’import/export d’antiquités.

Karim avait envie de faire une thèse, de devenir musicien, de devenir écrivain, de devenir danseur, de devenir érudit, de devenir athlète. Il a fait tout le reste, alors bon finalement la thèse…Peut-être qu’il y reviendra comme Brian May 36 ans plus tard. Il est organisateur de soirées.

Anne travaillait sur un sujet qui a disparu en cours de route. Elle s’est évanouie aussi pour lui être fidèle. Elle est désormais graphiste.

Paul s’est juste dit qu’il en avait marre d’un milieu où l’on pratiquait un capitalisme sauvage, hyper-individualiste, comptant les points, guettant les concurrents, où le darwinisme violent était la règle pour pouvoir occuper un poste qui permettrait, enfin, de critiquer le système néo-libéral. Il travaille dans un syndicat.

Marie avait toujours aimé les statistiques, saisie par un doute au début de sa thèse elle a modélisé la probabilité d’avoir un jour un poste fixe, compte tenu de la réduction de ces derniers, de l’augmentation du nombre de candidats (qui s’accumulaient en plus d’une année sur l’autre), et de multiples coefficients. Parmi eux : un indice de bankabilité du sujet en fonction du contexte, un de puissance du jury de thèse, un de stabilité mentale, un de santé physique, enfin un dernier de science du placement social avec le ventre vide. Au final, comme elle s’est dit qu’elle ne voulait pas avoir la vie d’un avocat d’affaire sans en avoir le salaire ni le statut, elle a froissé son papier et elle est partie faire un tour. Elle a passé le concours de l’INSEE.

Denis a craqué physiquement, à force de journées de 6h à 22h. Il a eu un problème de nerf sciatique, puis une fracture de fatigue, puis il s’est dit qu’un régime sans gluten ou un complément alimentaire ne permettrait pas de guérir des cures d’austérité qui rendaient son travail impossible. Il a lancé des cours de Yoga pour doctorants.

Xavier a fini par se reconvertir sur son terrain initial. A force de voir les autres parler de leurs boutons de manchette et des mérites comparés de la crème de cirage ou du cirage canadien sur les John Lobb, il y a pris goût. Il est conseiller en ambassade.

Matthieu s’est juste rendu compte qu’il n’aimait pas ce métier. Et voilà. Il va en faire un autre.

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